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jeudi 11 mars 2010

Libération




Voilà pour la suite de mon histoire, après la sortie de l'hôpital.

De retour chez moi, aussi démunie,  je ne sais pas si je vais mieux mais je me sens soulagée d'être partie, libérée. Je ne suis pas pour autant sortie de mes angoisses, bien au contraire. Je suis sous antidépresseurs et sous anxiolytiques, et je me sens salement démunie. J'ai toujours aussi peur de sortir, de voir des gens, de tout en fait. La moindre chose, me lever, manger, me laver est une épreuve. Je ne peux plus rien faire sans que ces attaques de panique me prennent aux tripes. Alors une nuit, je craque.

Je prends des médicaments bien plus que je n'aurais du. Je ne voulais pas mourir mais simplement que les angoisses s'arrêtent. Évidemment, difficile à expliquer, et encore plus d'être crue, même encore aujourd'hui. Mais peu importe. Me revoilà partie dans la danse du SAMU, urgences, psychiatres. Et envoyée dans un "centre d'accueil de crise". Tout blanc, tout calme, tout propre. Mais enfermée à nouveau.

Le plus dur est de voir derrière les vitres la ville, les gens, la vie. La vie normale. La vie sans peur. J'y reste quelques temps, une semaine je crois. Cependant je me sens apaisée pour la première fois. Je retrouve mon calme. Je suis triste de voir mes parents, mon ami venir me voir dans mon état mais je me sens protégée. Je lis beaucoup, je dors, je parle, un peu. Mais ce genre de centres n'accueillent que pour une durée très courte, et me voilà renvoyée chez moi, avec un espoir cependant. Une clinique privée qui serait très bien, et qui pourrait accueillir les personnes dans mon cas.

Le problème, comme toujours, est le manque de place, je dois encore attendre quelques semaines avant de pouvoir y être admise. Ne pouvant plus rester seule chez moi, je passe quelques semaines chez mes parents avant d’intégrer cette clinique. Les angoisses se calment chez eux, je me sens moins en insécurité, moins seule, je commence à reprendre espoir.

J’y rentre vers avril. J’y reste d’abord un week-end en hôpital complet (jour et nuit) puis je passe ensuite en hôpital de jour, c'est-à-dire que j’y suis de 9H00 à 18H00, avec un programme déterminé, et le soir, je rentre chez moi. La thérapie pratiquée là-bas est la thérapie cognitivo-comportementale, basée sur l’exposition aux peurs, sur la parole, sur la compréhension de l’angoisse. Pour la première fois depuis le début, on m’explique et le soulagement est immense. Enfin je comprends la réaction de mon corps.
Les crises d'angoisse ne sont pas graves, c'est juste une "sur réaction" du corps à un danger (qui, en l'occurrence, n'existe pas), avec une absorption élevée d'oxygène (hyperventilation) et qui entraîne un stress immense et des symptômes incontrôlables : accélération du rythme cardiaque, tremblement, évanouissements...

Je vois un psychologue régulièrement, il y a des thérapies de groupe, de la peinture, de l’écriture. C’est là aussi que j’ai eu mon traitement actuel. Qui m’a sauvé, et qui, à la fois, fait que je suis aujourd’hui obligée de me sevrer.


Quelque part, je ne regrette pas vraiment… J’en avais besoin à ce moment là, et quand je suis sortie de la clinique, deux mois après, je revivais. Je pouvais sortir seule, voir mes amis, profiter enfin d’une "liberté conditionnelle". Je suis en colère car ça aurait dû mieux se passer pour le suivi, pas juste me dire que j’allais mieux, que c’était réglé. Les médecins auraient du m’accompagner dans le sevrage au lieu de ne voir que la surface et me droguer par sécurité.

Mais malgré tout, et Nietzsche ne me contredirait pas, si je suis là debout, forte, apprenant à me connaître c’est parce que j’ai traversé tout cela. Il est parfois difficile d’être fort, de résister, de combattre, et mes crises me l’ont appris. Jamais d’explications, ou plutôt des centaines, m’ont été données sur les raisons de leur apparition soudaine. La mienne serait que, tout simplement, mon corps et mon esprit ont dit stop, m’ont forcé à m’arrêter de "vivre" pour me poser, pour regarder en moi, pour m'interroger, ouvrir les yeux. Prendre conscience de ce que je suis, arrêter de me mentir, grandir.

Un accouchement est toujours douloureux. L’accouchement de soi l’est de la même manière. Le mien est long, et loin d’être terminé. Les bases sont posées, les fondations de ce que je suis, ce que je veux, ce que vaux. L’estime, la confiance, l’amour, de soi. Connaître son mécanisme interne et le respecter. Laisser de côté les poids de la culpabilité, de la peur, de la méfiance, de tout ce qui nous encombre chaque jour. Les poser un par un pour se sentir un peu plus léger et avancer plus sereinement. Un combat ordinaire, en somme.

Les médicaments sont une des chaînes qui m’entravent, et je sais qu’il y en a encore beaucoup d’autres. La dépendance aux autres, le jugement, l’incapacité à lâcher prise, la peur de faire mal, de dire non…

Mais quel plaisir au final de se découvrir, de se connaître, de s’accepter. De pouvoir se dire que finalement nous existons, réellement. Que nous ne sommes pas juste une ombre qui traverserait la vie, cachée, apeurée, invisible. Je suis un corps, un esprit, je me sens au fond de mes tripes, des pieds à la tête, faite de sentiments, de sensations, de chair et de sang.  Je suis vivante. Et ça, même si ça fait mal parfois, ça n’a pas de prix.

dimanche 21 février 2010

Enfermement

Berurier Noir - Les éléphants


Arrivée au milieu de la nuit. Noir. Froid. De grandes grilles en fer. Un gardien qui demande ma carte d’identité et mon papier d’admission.

Entrée dans l’immense parc. Bâtiments qui s’alignent. Blocs de ciment qui projettent leurs ombres terrifiantes. Pétrifiée, endormie, je ne sais plus où je suis.

Dédale de couloirs. Accueil. Fouille des affaires. Pas de rasoirs, pas de médicaments, pas de lacets, pas de ceinture, pas de portable. Pleurs. Je suis toute seule maintenant.

Médecin gentil qui m'ausculte. Me conduit dans ma chambre. Quelqu’un dans le lit à côté. Je ne vois rien. Dormir.

Réveil à 7 heures. Plus de cigarettes, plus ma bague. Cris. Larmes. Mais bordel, où je suis ?

Accueil. Prise de sang. Oui, les vols sont courants. Bague retrouvée, puis petit déjeuner. Encore des cris, une télé allumée. De la souffrance partout. Une douleur indicible qui rôde. Ghetto de la folie.

"Le temps passe longtemets, longtemps. Je rencontre pleins de gens que je croyais jamais pouvoir rencontré. C’est vraiment étrange, tellement de douleurs, de peine, de gens, qui comme moi, ne savent plus où ils en sont."

On m’emmène dans la bibliothèque toute seule. Je ne suis pas assez folle. Je lis des nouvelles de Maupassant en attendant. Quoi ? Je ne sais toujours pas, je ne comprends rien.

On vient me chercher, je dois emballer mes affaires. Premier étage. Les cas les moins graves on me dit. Plus de calme mais la douleur est la même.

Une chambre où j’apprends vite à cacher mes affaires. Ma voisine communique, c’est déjà ça. Une grande salle avec des tables, des chaises, une télé et des cigarettes qui se consument.

Regards hagards, rivés sur la télévision, zombies. Pas un mot, le monde vit au ralenti. Un ralenti contrôlé par les horaires. Déjeuner.

Grande cantine. Bouffe immonde. Encore des pleurs, encore des cris, toujours. Forcer à ingurgiter les aliments. Par la parole ou par la force.

"Le temps est dilaté, lent, précis, calculé. Rien n’est laissé au hasard. On attend le repas, le café, les médocs, le repas, le dodo. Rien à penser, tout est prémacher"

Psychiatre. Je m’écroule. Médicaments, médicaments, médicaments. Tombez enceinte, vous grandirez. Quoi ? Qu’est ce que je fous là ?

Après-midi au rythme si lent. Télé. Et mes feuilles et mon stylo qui me sauvent, encore.

"Je lutte pour réfléchir, pour ne pas laisser mon pauvre p’tit cerveau s’affaisser. Je sais que tout ces mots m’ont déjà sauvé de nombreuses fois, de plein de situations, alors je compte sur eux"

Diner. Et la file d’attente des médicaments. A la queue leuleu, chacun son tour avaler ses petites pilules. Dormir.

Le lendemain, idem.

"Je ne peux continuer à m’abrutir (medocs+télé+sommeil) même si j’en ai besoin aussi. Fo que les rouages se désencrassent, que ma conscience reste consciente, coûte que coûte"

Des gens me parlent. Je ne comprends rien. Je ne veux pas qu’on me parle, qu’on me touche. Ça pue ici. Une douche pour 20 personnes. Dégueulasse.

Visites interdites. Téléphones une demi-heure par soir. Et là, l’horreur. Appeler mon amour dans cet état ? Mais il ne me reste que ça.

La honte. La peur. L’impression d’être en dehors de la vie.

"Je ne peux rester dans ce cocon indefiniment mais ce n’est surement pas la solution. Je crois même que d’un côté, je ne veux pas sortir de cet hôpital. Je m’y sens en sécurité, je ne suis pas aussi vulnérable que dehors"

_________________________


J’en suis sortie trois jours plus tard à ma demande. Les textes en italique sont les retranscriptions exactes de mes écrits lorsque j’étais dans cet hôpital. Ce texte est le plus difficile que j’ai à écrire, trois jours pour un traumatisme à vie.

J’ai honte. Honte de mon pays qui enferme et drogue ceux qu’il n’accepte pas, les "malades mentaux", les psychotiques, les névrosés. Honte de ce manque de moyen, d’argent, de considération, qui fait vivre ces gens dans un environnement inhumain, sale, inadapté, où la seule prise en charge est chimique.

Honte que ce pays cache ces souffrances, ces milliers de vies pour toujours brisées. On ne sort pas indemne d’un hôpital psychiatrique. Jamais.

jeudi 18 février 2010

No surprises



Bon, faut bien que j’y passe. Pour comprendre comment on peut en arriver là, même si c’est sûrement une voie comme une autre, voilà mon histoire telle que je m'en souviens, avec sûrement des trous, mais heureusement j'écrivais pas mal à l'époque ce qui me permet de retracer un peu tout ça.

Petit flash back. En novembre 2005, je sortais d’une semaine de bénévolat assez intense sur un festival de cinéma et je rentre donc chez moi me reposer tranquillement l’après-midi. Une connerie à la télé, et d’un coup, palpitations, mains moites, l’impression d’étouffer, tremblements dans tout le corps. Première pensée : "Je vais mourir."
J’arrive quand même à appeler mon copain complètement en stress. Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé entre l’appel et son arrivée mais ça m’a semblé être une éternité. Il arrive, me voit et appelle le SAMU. « Bah c’est une crise de spasmophilie, faut qu’elle respire dans un sachet plastique, bonne journée ». Hein quoi ? Une quoi ? Ok je respire dans ton putain de sachet. Bon j’admets, la crise passe. Vidée de mes forces, je me calme, et m’endors.

Les jours et semaines passent, rien ne se passe. J'oublie. Et en janvier, de nouveau une crise plus forte. Je reprends mon p'tit sachet, mais j'étouffe à respirer là dedans.
Les crises sont encore irrégulières mais je sens des choses bizarres m’arriver. Je supporte plus la lumière, les bruits. J’ai mal partout. Et surtout le truc le plus horrible de tous, le sentiment de déréalisation. C’est comme de vivre dans un rêve, on a l’impression de plus connaître les visages, les endroits familiers, de marcher à côté de soi-même. D’autant plus déstabilisant que je n’avais, à l’époque, aucun mot à mettre sur tout ça.

J’étais en deuxième année de master à l’époque. Je commence à flipper d’aller en cours, d’aller dehors, et finalement, d’être chez moi. Moins je comprends ce qui m’arrive et plus je flippe, et plus je flippe, et plus je fais des crises d’angoisse.

Je débarque donc un jour chez mes parents, et j'annonce à ma mère que je suis folle. C'était sans doute aucun pour moi. Y avait pas d’explication rationnelle à ce que je vivais. Ma mère panique, évidemment, direction les urgences. Et là, début du cauchemar. Une heure d’attente, cinq minutes d’entretien avec un psy qui en gros me dit que j'ai peur (sans déconner !!!) et que les petites pilules de Xanax vont m’aider.
Euh ok.
Première anecdote de ma poisse avec la médecine en passant. J'arrive à la pharmacie de garde avec ma maman vers 22 heures. Et là, le pharmacien complètement bourré commence à délirer sur le fait que le Xanax sert à rien et que je ferais mieux de partir au ski, au grand air, blablabla avec son haleine puant la gnôle. Après un "Mais ta gueule" je repars avec les pilules magiques.

J’ai un souvenir assez flou des jours suivants, je suis défoncée, mais je retourne chez moi. La situation se dégrade rapidement. J’ai l’impression de devenir complètement dingue, je ne peux plus dormir, je ne mange plus, je passe mon temps à trembler, à ne plus réussir à respirer (enfin, en avoir l'impression), je ne peux plus bouger de mon lit, je me sens dans une complète insécurité.

Je ne peux plus sortir seule de chez moi, je ne peux absolument plus rien faire à part rester allongée dans mon lit, complètement glacée sous la couette.

Mon entourage flippe évidemment, essaie de me rassurer, de comprendre mais ils ne me reconnaissent plus, ils sont comme moi, face à un mur infranchissable d’incompréhension.

Et là commence mes allers-retours aux urgences chaque jour, avec mon chéri qui me porte jusque là-bas parce que je ne peux plus marcher. Une fois à l'hôpital, je me sens mieux. En sécurité. On me fait des analyses de sang, des électro cardiogrammes, une IRM et on me laisse partir avec de nouveaux médocs. Je rentre, je flippe, je dors, je me réveille, et la nuit, c'est SOS médecins. Que j’attends des heures sur mon canapé, sans pouvoir bouger, avec la tête en mille morceaux. Et même chose que le jour : "Oh bah dis donc vous n'avez pas l'air bien, allez une p'tite piqûre de tranquillisant ça va passer".

Évidemment, pendant ce temps, j’essaie de trouver des psychiatres, mais la liste d’attente est longue. Je me retrouve à parler à des choses pas vraiment humaines, qui JAMAIS ne me disent ce que j'ai. Je sais pas quelle formation ils reçoivent en médecine, mais bordel, ils sont surentrainés dans l'indifférence. "Parlez-moi de vous… Ha... Votre père est parti quand vous étiez encore un bébé? Ha... Vous avez donc un complexe d’Œdipe qui n'a pas pu s'effectuer, etc". Oui, merci, j'ai lu Freud, Lacan mais là non, c’est juste que je souffre, voyez ?
Bah non.

Ce petit jeu dure deux à trois semaines avant je me retrouve dans la nuit dans un centre d’accueil psychologique dont la description est : "Centre d’accueil permanent et de thérapies brèves. 24h/24h - 7 jours sur 7 - écoute, orientation, information, consultations..."
"Vous avez une famille, un ami, un appartement, de quoi vous plaignez-vous? Vous n'avez pas de problèmes, rentrez chez vous" me dit le psychiatre de garde. Et re pilules. "Non vous pouvez y aller, prenez en 5 ou 6" continue-t-il gaiement.

De retour chez moi, j'en peux plus. Je décide de me faire interner dans un hôpital psychiatrique. Complètement à bout de force, et persuadée d'être tarée, j’appelle donc SOS médecin au milieu de la nuit qui, en 5 minutes chrono (encore!), me signe un formulaire d’admission.

Sympa pour les parents et le copain qui sont à leur tour persuadé que je suis folle, et que l’internement est la seule solution. Me voilà donc, avec la famille en pleurs, en route pour l'hosto.

A suivre.


(Ha oui cet épisode de House M.D., dont la vidéo au début du post est le générique, est juste fabuleux, au passage)