Après plus d’une heure de retournements infructueux dans mon lit, cherchant en vain le sommeil, alors qu’on sait bien que dans ces moments là ce sont juste les pensées les plus stupides qui viennent vous marteler la tête (en vrac, "Ai-je bien fermé le frigo?" "Je fais quoi demain?" "Qui suis-je ?") j’en reviens devant mon cher ordinateur.
Après avoir été longtemps une adepte des théories de la psychanalyse, je commence à m’ouvrir à ses détracteurs. Sans entrer non plus dans une remise en cause qui ne serait que subjective, je me suis plongée dans Le pouvoir psychiatrique - Cours au Collège de France 1973-1974 de Michel Foucault 1 où il ne traite pas réellement de la théorie, mais plutôt de la pratique de la psychiatrie, particulièrement dans les asiles.
Il y évoque le pouvoir exercé par les mécanismes d’une institution, ayant comme "maître" le psychiatre, mais c’est un pouvoir diffus, non unique, régit par un ensemble de règles et de hiérarchie. La psychiatrie ne soignerait donc pas par le savoir, mais par le pouvoir qu’elle exerce.
" La condition, donc, du rapport à l'objet et de l'objectivité de la connaissance médicale, et la condition de l'opération thérapeutique sont les mêmes : c'est l'ordre disciplinaire. Mais cette espèce d'ordre immanent, qui pèse indifféremment sur tout l'espace de l'asile, est en réalité traversé, entièrement animé de bout en bout par une dissymétrie qui fait qu'il est rattaché, et rattaché impérieusement, à une instance unique qui est à la fois intérieure à l'asile et est le point à partir duquel se font la répartition et la dispersion disciplinaires des temps, des corps, des gestes, des comportements, etc. Cette instance intérieure à l'asile, elle est en même temps elle-même dotée d'un pouvoir illimité auquel rien ne peut et ne doit résister. Cette instance, inaccessible, sans symétrie, sans réciprocité, qui fonctionne ainsi comme source de pouvoir, élément de la dissymétrie essentielle de l'ordre, qui fait que cet ordre est un ordre toujours dérivant d'un rapport non réciproque de pouvoir, eh bien, c'est évidemment l'instance médicale qui, comme vous allez le voir, fonctionne comme pouvoir bien avant de fonctionner comme savoir. "
Si je peux comparer cela à ma propre courte expérience, le pouvoir s’exerce effectivement par un ordre établi, consistant non pas à conduire le patient à prendre conscience de lui-même et, éventuellement, de sa folie, mais consistant à le normaliser, par une domination médicale. La discipline est la régisseuse de l’hôpital psychiatrique. Les horaires, les interdictions, le respect de la hiérarchie médicale. La discipline y est quasi militaire puisque la "guérison" doit avant tout passer par une soumission. Accepter les règles d’un hôpital, c’est accepter que l’on est malade et donc se soumettre à sa guérison, mais sans en être acteur. Le patient devient objet et non plus sujet.
Mais ce qui se passe à l’intérieur d’un asile se passe de manière similaire, bien que de manière plus latente, à l’intérieur d’un cabinet de psychiatre.
Il faut avant tout différencier l’autorité que l’on nomme naturelle (inhérente à une personne, et qui serait basée plutôt sur un savoir, une compétence) à l’autorité de statut (autorité conférée par une fonction). Il est très facile pour un patient, et moi la première, de se laisser porter par une autorité de statut (le psychiatre est psychiatre donc sa parole est supérieure à celle du patient) et d’accepter toute analyse sans recul.
Quelques soient les thérapies (psychanalyse, thérapies comportementales, etc.) j’ai retrouvé cette même impression à chaque fois, exceptée chez les psychanalystes non médecins. Il y aurait donc, mais c’est évidemment une Lapalissade, un formatage dans les écoles de médecine qui amènerait à dénier l’aspect humain, individuel du patient pour ne le considérer que comme un objet d’analyse. Il s’agit d’une manipulation du soi, une domination qui s’exerce aussi bien de manière mentale par la suggestion ("Vous devriez...", "Il est avéré que... ") que physique, par la prise des médicaments.
J’ai souvent lu ou entendu, de la part de divers abrutis, que personne ne "nous" force à prendre des médicaments. Mais ce serait oublier la relation même d’un médecin vis-à-vis de son patient, qui le maintient sous son joug, probablement sincère au demeurant, intiment persuadé de détenir le savoir mais ne sachant l’exercer que par la force.
Il n’est jamais question de transmission ou d’échange dans la psychiatrie, il s’agit d’un rapport de force entre une souffrance et une solution imposée à cette souffrance. Le patient n’a donc comme alternative que d’obéir aux recommandations ou de repartir avec sa souffrance. Et étant donné que l’on catalogue comme malade, quelque soit la nature de son mal, il obéit.
Dressé, docile, il se laisse porter par cette corporation de psychiatre, sans pour autant comprendre lui-même de quoi il souffre. Il ne s’éveille pas, il essaie de correspondre à la norme que la psychiatrie définie. Il en va de même pour la psychiatrie que pour toutes les institutions qui, à la fois, individualisent, isolent, et soumettent.
Sauf qu’il s’agit ici non pas seulement de se soumettre à une norme sociale, mais également à une norme que je définirais de morale, en culpabilisant d'une part le patient indirectement en le définissant comme "anormal" et d’autre part, en lui promettant de pouvoir rentrer dans cette norme.
En oubliant par là même la notion d’acceptation, qui ne passe jamais par l’aliénation à une norme, mais par une capacité à se définir par rapport à cette norme, d’accepter d’en être parfois décalé, d’y être parfois intégré, mais surtout de trouver une place qui nous convienne à la fois en tant qu’individu unique et en tant qu'individu vivant en société.
En oubliant par là même la notion d’acceptation, qui ne passe jamais par l’aliénation à une norme, mais par une capacité à se définir par rapport à cette norme, d’accepter d’en être parfois décalé, d’y être parfois intégré, mais surtout de trouver une place qui nous convienne à la fois en tant qu’individu unique et en tant qu'individu vivant en société.
Il n’y a pas une définition unique du "moi", et la seule façon de pouvoir en prendre conscience est d’accéder au savoir, de faire en sorte que ce savoir soit enseigné, partagé, compris afin de pouvoir se libérer du pouvoir exercé à notre insu et de toute domination psychologique
Très bonne analyse. En ce qui me concerne, j'ai fait une thérapie, mais pas avec un psychiatre mais avec une psychologue.
RépondreSupprimerCe qui est très différent car eux ne sont pas là pour te prescrire des médicaments mais bien pour t'aider à aller vers un mieux-être.
Ma thérapeute à qui j'avais dit une fois "Je me croyais anormale" m'avait répondu "Vous étiez normal compte tenu de ce que vous avez vécu"
Grâce à cette thérapie j'ai réussi à me sortir de ma dépression. Les médicament seul ne m'y aurait pas aidé.
Merci Line :)
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord. J'ai été suivie, et je suis encore suivie occasionnellement par une psychothérapeute qui pratique l'hypnose et qui en quelques séances m'a vraiment aidé à me reconstruire, et qui a réussi à faire que j'en suis là aujourd'hui, beaucoup mieux!